Soixante ans après la déclaration de la seconde guerre mondiale, l’intérêt pour la période de l’occupation et de la résistance, tant intérieure qu’extérieure, connaît un regain d’intérêt, suscité en particulier par l’accès à des archives jusque là fermées. Les rangs des témoins se sont évidemment éclaircis, mais les historiens ont pris le relais ; les travaux récents ont permis d’apporter un nouvel éclairage sur des événements jugés auparavant de façon parfois trop unilatérale : la période a été tout de même singulièrement complexe.

L’engagement résistant a été le fait d’une décision individuelle, sauf lorsqu’il s’articulait avec certains engagements politiques, et l’impression de solitude, au départ, se dégage de bien des témoignages, malgré la fraternité rencontrée par la suite, au sein de mouvements intérieurs ou d’unités extérieures. Les origines étaient très diverses, sur le plan social, professionnel, politique ainsi que les motivations. Cela a joué un rôle indéniable dans les difficultés qu’a rencontrées l’unification des forces, dans la résistance intérieure ou extérieure.

Il n’était pas toujours facile a priori, pour le Français moyen, soumis à la propagande insidieuse ou explicite des autorités de Vichy et de l’occupant, de s’insurger contre ce qu’elle véhiculait, de se poser la question d’A.Soljénitsyne :
“Est-il possible de ne point avoir ses propres notions du mauvais et du bon et de les puiser dans des instructions imprimées et dans des directives verbales de ses chefs ?”

Rappeler les événements qui se sont passés, c’est aussi affirmer leur signification actuelle et leur impact pour l’avenir.

Tout ce qui précède concernait l’ensemble des Français.

Pourquoi alors consacrer un site à la présence de polytechniciens au sein de la Résistance ?

Ce qu’on appelle “communauté polytechnicienne”, réputée soudée, réunit l’ensemble des anciens élèves (environ
7 000 en âge de combattre, en 1940), tous passés par l’internat dans une école dont la fondation remonte à la Révolution. Ils y sont entrés au terme d’un concours difficile , sans la moindre influence de leur situation sociale, encore que le soutien de leur environnement familial favorise davantage les jeunes gens des classes moyennes et aisées par rapport aux fils de ruraux, d’artisans ou d’ouvriers : les statistiques sur l’origine sociale des polytechniciens le prouvent aisément. S’ajoutent à cette communauté quelque 1500 élèves en cours d’études en 1940 ou reçus aux concours de 1940 et 1943.

Avant la guerre, les élèves sortaient en majorité dans l’Armée (essentiellement Artillerie et Génie). Ils pouvaient accéder, si leur rang le leur permettait, aux grands corps de l’État (Mines, Ponts et Chaussées, Génie Maritime, Télécommunications, etc.). Quelques-uns “pantouflaient” dans l’industrie privée, où on les retrouvait souvent plus tard à des postes importants.

Une tradition patriotique et républicaine qui remonte au XIXème siècle montre que les élèves présents à l’École ont joué un rôle sous le Premier Empire, au moment du siège de Paris par les cosaques en 1814, de même qu’au cours des révolutions de 1830 et de 1848.

Qu’en a-t-il été au cours des quatre années qui ont suivi la défaite et l’armistice, où la population française a subi un régime qui raya la République et sa devise, au profit d’un État dont le chef exerça les pouvoirs les plus étendus ?

La “communauté polytechnicienne” de l’époque se caractérisait par sa diversité.
Les promotions d’entre les deux guerres avaient fourni nombre d’officiers de carrière, qui avaient vis à vis de la politique une grande méfiance, voire de l’hostilité, et au contraire une tradition d’obéissance à leurs chefs. L’armistice les avaient laissés désemparés ; certains comptaient que les hostilités recommenceraient un jour contre l’Allemagne, et une petite minorité, au sein de l’Armée d’armistice, put camoufler des armes et des munitions ; par ailleurs l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA), née au lendemain de la dissolution de l’armée d’armistice (novembre 1942), se plaça dans la mouvance du Général Giraud, et non dans celle du Général de Gaulle : son intégration dans les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), tardive, ne se fit pas sans difficultés. D’autres officiers ont choisi plus tôt de rejoindre la Résistance, en France ou à l’extérieur.

D’autre part leur formation scientifique et technique prédisposait beaucoup de polytechniciens à exercer leur activité dans des ministères “techniques”, tant aux échelons centraux que dans les services locaux. En simplifiant un peu, les fonctionnaires haut placés ont souvent vu dans le nouveau régime l’occasion de mettre en oeuvre une gestion “technocratique” de la nation (ce qui fut également le cas pour certains cadres de l’industrie privée) ; certains allèrent très loin dans ce sens (tel Jean Bichelonne, brillant major de sa promotion, qui fut ministre de Pétain et l’accompagna à Sigmaringen) ; au contraire, les responsables locaux ou régionaux tout en étant soucieux de la continuité de leurs services, utile à la vie de la communauté française, ont souvent eu une attitude de résistance passive ou active, malgré les conditions très difficiles et les dangers.

Dans le choix, caractéristique essentielle d’un engagement résistant, sont également intervenus des éléments biographiques : le groupe d’âge a indéniablement joué un rôle dans l’acceptation de la clandestinité, de la lutte armée, et de ses risques mortels, notamment pour les personnes chargées de famille (mais des polytechniciens pères de familles nombreuses ont été fusillés). Le comportement des plus jeunes, élèves à l’École en zone Sud, puis à Paris, soumis à l’embrigadement vichyssois, est particulièrement intéressant et c’est la raison pour laquelle le site évoque leur cas.

Enfin l’évolution de la situation mondiale et celle des relations entre la France et l’occupant ont pu faire basculer des opinions jusque là favorables au régime de Vichy, ce qui n’est d’ailleurs pas particulier aux polytechniciens.

Malgré les engagements de certains polytechniciens hauts fonctionnaires dans la collaboration avec l’occupant, malgré l’attentisme d’autres, on trouve des polytechniciens dans tous les secteurs de la résistance, tant extérieure qu’intérieure, et au moins 250 d’entre eux ont sacrifié leur vie, dans les campagnes d’Afrique, d’Italie, de France et d’Allemagne, dans des maquis, face aux pelotons d’exécution ou dans l’enfer des camps de concentration. Ceux-là ont voulu agir, ont refusé de se résigner. Les valeurs qu’ils défendaient restent actuelles.

C’est ce que veut montrer ce site.

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